mercredi 29 juin 2011

Résistants au sida

                                                                                       


Le sida a 30 ans. Le virus courait depuis longtemps déjà, bien sûr, mais on ne l’a su que beaucoup plus tard. C’est le 5 juin 1981 que l’épidémie est née, du moins dans la littérature scientifique.

Ce jour-là, le bulletin hebdomadaire des Centres pour le contrôle des maladies (Centers for Disease Control and Prevention), les CDC - dont le siège est à Atlanta, aux Etats-Unis -, publiait la première observation sur les victimes de ce mal que l’on appellerait un jour «syndrome d’immunodéficience acquise».

L’article est intitulé, sobrement, «Pneumocystis pneumonia - Los Angeles». «Entre octobre 1980 et mai 1981, cinq hommes jeunes, homosexuels, ont été traités en Californie pour une pneumonie à Pneumocystis carinii. Deux sont morts. Tous les cinq ont eu également une infection par cytomégalovirus (CMV) et une candidose muqueuse», écrivent les auteurs qui concluent : «Toutes ces observations suggèrent la possibilité d’un dysfonctionnement de l’immunité cellulaire lié à une exposition commune qui prédispose les individus aux infections opportunistes telles que la pneumocystose et la candidose.»

Dans les semaines qui suivent, des cas similaires sont recensés, toujours plus nombreux, aux Etats-Unis, mais aussi en Haïti. Un an plus tard, la maladie a un nom : Aids en anglais, sida en français. La mystérieuse «exposition commune» est bientôt identifiée, en mai 1983 par une équipe française : un rétrovirus.

Chez eux, le virus ne se réplique pas

En trente ans, 30 millions d’individus sont morts, selon les chiffres de l’Onusida. Mais, à la surprise des médecins et chercheurs, d’aucuns résistent. Infectés, ils n’ont jamais développé la maladie alors qu’ils ne reçoivent aucun traitement. Ces séropositifs si particuliers ont eu droit à tous les qualificatifs : on les a d’abord appelés les «porteurs sains», puis les «survivants à long terme», «les résistants» et enfin les «contrôleurs à long terme du VIH», une façon de dire que leur système immunitaire maintient sous contrôle le développement du virus. Présent dans leur organisme en très faible quantité, il ne s’y réplique pas.

La charge virale est indétectable. Et cela depuis dix ans, voire plus. Certains ont été contaminés au tout début de l’épidémie. Ils sont, pour le meilleur et pour le pire, les témoins de l’histoire trentenaire de la plus grande pandémie du XXe siècle.

«Je vis au jour le jour. C’est comme si le virus était dormant dans un coin de mon corps», dit-elle. Lui : «C’est dans la tête que c’est dur. Je me disais que je gagnais le combat contre le virus tous les jours. Maintenant, je suis vieux, j’ai 75 ans, alors, si je meurs de ça ou d’autre chose…» Pergira a été contaminée dans les années 80, et Jean-Claude en 1985.

Avant de les rencontrer, on imaginait qu’on allait les trouver rassurés, comme habitués à cette longue cohabitation avec le virus. Erreur. «Nous avons constitué une cohorte de contrôleurs à long terme, que nous suivons, explique le professeur Olivier Lambotte, immunologiste à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Ces patients vont tous bien, physiquement. Très bien même, sans le moindre traitement. Mais la plupart se disent fatigués, un peu lassés par cette longue histoire.»

Selon les études internationales, entre 0,3% et 0,5% des personnes infectées par le VIH sont des contrôleurs à long terme. «En France, nous avons recensé 150 patients qui répondent à ces critères, précise Olivier Lambotte. Leur situation reste pour nous un mystère.»

Depuis cinq ans, l’équipe du Kremlin-Bicêtre suit ces contrôleurs du VIH, prélevant tous les six mois un peu de leur sang pour voir si les données biologiques et virologiques évoluent. Leur profil ? Ils n’ont aucune particularité, ni d’âge, ni de sexe, ni de mode de contamination.

«Ce que l’on a pu montrer, explique Olivier Lambotte, c’est que leur état n’était pas lié au fait qu’ils avaient attrapé un virus moins agressif. Quant à leur système immunitaire, on a noté chez deux tiers de ces patients une forte réponse de ces cellules de l’immunité que sont les CD8 qui agissent contre les cellules infectées par le virus. C’est une piste pour d’éventuelles recherches vaccinales. Mais il nous manque toujours l’essentiel : pourquoi eux ?» Pourquoi leur système immunitaire résiste-t-il, alors qu’il cède chez tant d’autres séropositifs ? Bénéficient-ils d’une protection génétique particulière ? «C’est sur cela que l’on travaille», poursuit le professeur Lambotte. Pour Pergira et Jean-Claude, l’essentiel demeure : ils sont «séropositifs». Un mot, comme une marque indélébile.

En 1985, «le couperet tombe»

Lors de notre rendez-vous, ils se rencontrent tous les deux pour la première fois. «A une époque, le professeur Delfraissy [chef du département des maladies infectieuses à l’hôpital Bicêtre et directeur de l’Agence nationale de la recherche contre le sida et les hépatites, ndlr], avait souhaité organiser une rencontre entre tous les contrôleurs, raconte Pergira. Mais je ne voulais pas voir des malades. Chacun a un jardin secret, et je ne veux pas le partager», dit-elle dans un joli aveu.

Jean-Claude, lui, était plus ouvert à cette initiative. Il a une longue familiarité avec la maladie : il est hémophile. Quand il raconte ses presque trente ans de sida, c’est le fil de toute l’épidémie qu’il remonte, avec son énorme choc initial, puis ce long apprentissage de la vie avec le virus, les relations compliquées avec la médecine.

Dans son cas, la scène originelle a été, à proprement parler, ahurissante. «C’est comme si vous êtes vacciné, et on n’en parle plus. Voilà ce que mon médecin m’a dit à l’automne 1985, raconte Jean-Claude. Et en plus, il m’a annoncé ça par téléphone.»

Quelques mois auparavant, il était allé à Saint-Nazaire, pour une transfusion, comme en ont souvent besoin les hémophiles. Il avait alors demandé au médecin du centre s’il pouvait avoir «des produits chauffés». On avait alors découvert que les produits non traités à destination des hémophiles pouvaient avoir été contaminés par ce nouveau virus.

Et c’était l’époque où le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) écoulait les stocks de produits anciens et douteux. Jean-Claude poursuit son récit : «Le médecin me demande alors si je suis contaminé, je lui réponds que je l’ignore. Alors, il me dit : "Pas de produits chauffés pour vous."» Ainsi va la loterie de la vie : «On peut mettre cela sur le compte de l’ignorance», lâche-t-il, gentiment.

Jean-Claude n’est pas un révolté. Il a appris à se battre, à s’accommoder de son hémophilie. Il travaille comme cadre administratif dans un centre de soins. «Mais quand même, lorsque j’ai su que j’étais séropositif, c’était un couperet qui tombait. J’avais 48 ans. Au bout de quelques mois, j’en ai parlé à tout le monde, je travaillais alors dans un établissement de soins. Je ne voulais pas en faire un secret.» Puis il lâche encore : «Mais vous savez, l’hémophilie nous avait appris à ne pas être surpris par les catastrophes.»

Tout le temps des crises d’angoisse

Pergira est une belle et grande femme, d’origine haïtienne. Dans les années 80, elle est agente d’entretien dans un cabinet médical à Paris. «Je pensais être enceinte, j’avais déjà eu deux enfants en Haïti, et on m’a demandé de faire un test de grossesse. Les médecins, chez qui je travaillais, m’ont dit qu’ils allaient faire aussi le test de dépistage du sida. Une semaine après, au cabinet médical où je travaillais, ils m’ont convoquée, ils m’ont fait asseoir, et ils m’ont dit : "Vous êtes enceinte, vous êtes séropositive. Vous ne pouvez pas garder l’enfant." Je ne savais pas, je ne savais rien, et on m’a fait avorter.»

Elle est, alors, effondrée, sans réaction. «Je pensais que j’allais mourir. Chaque soir, je me couchais, je pensais que je ne me réveillerais pas. Mes deux enfants étaient en Haïti. Mon compagnon n’avait rien mais je ne savais pas comment je l’avais attrapé, je ne l’ai jamais su. Mon premier mari est mort, mais on ne sait pas de quoi.»

Les années passent : «Je n’avais rien, mais cela restait terrible. J’ai tout le temps eu des crises d’angoisse. Toujours, je dors la porte ouverte. Autrement, j’ai le sentiment d’être dans un cercueil.»

Elle se sépare de son compagnon, et quelques années plus tard, elle rencontre un autre homme. Nous sommes en 1993. «Je ne voulais pas sortir avec lui, je lui disais toujours que je n’avais pas le temps, je ne voulais pas de relations avec lui. On a passé des jours et des nuits à discuter, je ne voulais pas qu’il me touche. Il m’aimait. Et au bout de quinze jours, je lui ai dit la vérité. Je lui ai montré le papier de l’hôpital. Il m’a dit qu’on allait vaincre le virus.»

«J’étais obsédé par mon poids»

Pergira raconte sans hésiter, mais elle répète : «J’aime pas en parler.» «Avec mon nouveau compagnon, quand je suis tombée de nouveau enceinte, poursuit-elle, les médecins où je travaillais m’ont dit que je devais encore avorter. Là, j’ai refusé. Ils m’ont dit que cela ne pouvait pas continuer. Ils n’ont pas été très corrects, car ils auraient pu me licencier, ils m’ont demandé de démissionner. La seule chose de bien qu’ils ont faite, c’est de m’envoyer consulter au Kremlin-Bicêtre.» C’est là qu’elle va apprendre qu’elle est certes contaminée, mais que manifestement son corps arrive à se défendre.
«C’est le Dr Lambotte qui me suit. Comme j’allais bien, je n’ai jamais eu besoin de traitements. Quelques années plus tard, il m’a dit que je faisais partie des exceptions, qu’on ne voyait pas le virus.» Elle hésite : «Mais pour moi, tout cela n’était pas très clair. J’ai mis du temps à comprendre. Je venais le voir tous les six mois, c’était long, j’avais des palpitations avant chaque consultation. Et c’est quand il m’a fait le dessin de ma charge virale que j’ai compris.»

Est-elle, depuis, totalement tranquille ? «Oh que non ! Dans la tête, vivre avec cela reste insupportable.»

Jean-Claude a vécu toutes ces premières années, lui aussi, dans une grande angoisse. «Je voyais mes amis hémophiles tomber malades, maigrir, puis mourir. Et moi je restais, j’attendais, j’étais obsédé par mon poids. En même temps, je n’avais plus vraiment d’avenir. Je ne faisais plus de projets, et c’est comme cela que je me suis mis à militer dans l’associatif.»

Tout doucement, il a commencé à être rassuré pour lui comme pour les autres, avec l’arrivée des trithérapies en 1996. «En même temps, je vieillissais.» Pergira a maintenant 45 ans. «Ce qui est bizarre, dit-elle, c’est que je ne tombe jamais malade.» «Moi, dit Jean-Claude, je reste sur une position équilibrée : la médecine m’a sauvé de l’hémophilie et la médecine m’a rendue malade.» Pergira ajoute : «Ce que j’attends, c’est de ne plus avoir de virus.

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