jeudi 30 juin 2011

30 ans… et toujours vierge

                                                                                   

Ils n’ont jamais fait l’amour. Leur virginité les enferme dans le silence et la honte. Confidences sur l’un des derniers tabous sexuels.

Anne-Sophie, 34 ans : « Je sors dans la rue et mon regard accroche une pub : un couple nu qui s‘étreint. Je vais au cinéma ou j’ouvre un roman : impossible de ne pas tomber sur des scènes de sexe. Je déchiffre les couvertures des magazines et je lis : “Est-il un bon amant ?“ Je vis dans un monde où tout le monde fait l’amour. Sauf moi. » Patricia, 36 ans : « A 18 ans, c’est émouvant d’être vierge. A 35 ans, c’est ridicule. » Sébastien, 33 ans : « Parfois, je me dis que je vais mourir sans jamais avoir fait l’amour et, pour le coup, là, j’ai vraiment envie de crever. » 

Une situation inavouable, des raisons inavouées

Combien sont-ils ? Nul ne le sait : il n’y a pas de chiffres, pas de sondages, et y en aurait-il que les sondés mentiraient sans doute aux sondeurs. Pourtant, ils existent tous ceux qui, loin de la surexposition sexuelle de notre société, vivent sans avoir jamais fait l’amour. Et en souffrent comme d’une anormalité qu’ils ne confient à personne. Zoé, 31 ans, raconte qu’elle rougissait lorsqu’on lui demandait : « T’as pas une cassette vierge à me prêter ? » Et Patricia s’est inventé une vie sexuelle débridée : « Personne ne sait, à part mes deux amies d’enfance. Pour les autres, je joue les délurées. C’est facile de donner le change. » 

Donner le change pour ne pas avoir à répondre à un éventuel « pourquoi ? ».
 
« Parce qu’il n’y a pas de “parce que”, s’agace Patricia. A 20 ans, je voulais attendre de rencontrer la bonne personne. J’étais plutôt timide, réservée, discrète. Je n’allais pas vers les autres et ne laissais pas les autres venir à moi. Peut-être que, tout simplement, je ne me sentais pas prête. J’étais éprise de pureté, j’étais idéaliste, romantique, naïve. J’attendais que le prince charmant tombe du ciel. A 30 ans, je me suis consacrée à mon travail, en me disant que c’est ce qui comptait d’abord. A 36 ans, à force d’être si exigeante, j’ai le sentiment d’être passée à côté de quelque chose. Mais ne me demandez pas pourquoi… » 

Pour Michèle Saal, gynécologue et sexologue, « Dans la plupart des cas, les vierges ne développent pas un plaidoyer pour ou contre la virginité. Ils ou elles ont tous de très bonnes explications à fournir : trop de travail, pas de désir, pas de temps, pas de rencontre… En fait, toutes ces raisons font écran à la vraie, qu’ils ou elles ne savent pas entendre parce qu’elle appartient à une histoire douloureuse : flou dans l’identité sexuelle, lien malsain avec une mère, attouchements… à chacun son histoire. » 

Une paralysie de la relation

« On aurait tort de voir dans toute virginité tardive l’indice d’un traumatisme psychologique, nuance le gynécologue et psychosomaticien Sylvain Mimoun. D’ailleurs, elle pose peu de problèmes, en général, jusqu’à 25 ans. Considérée comme émouvante, elle est même parfois revendiquée comme une attente de la bonne relation. Puis l’inquiétude arrive et, avec elle, un début de phobie : “Saurais-je faire ? Comment le dire ?” Et surtout : “Suis-je normal ?” Et là, c’est l’engrenage qui conduit au rejet de son corps et à la peur de celui de l’autre. »

Et puis, pour les femmes, la quarantaine signe l’approche de la ménopause. A ce moment-là, la douleur enfle et prend toute la place. « Les femmes vierges d’un certain âge ne viennent pas me voir avec une revendication sexuelle, confirme Michèle Saal. Elles ne me disent pas : “Je veux faire l’amour avec un homme”, puisque, au contraire, l’idée de la pénétration est inquiétante, qu’elles ont peur de la douleur. Elles me disent plutôt : “Je veux des enfants, une maison, un foyer.” C’est un peu comme si elles avaient fait le deuil de leur sexualité à l’avance pour ne pas avoir à faire des deuils plus douloureux, ceux des injonctions parentales par exemple, du genre : “C’est tellement mieux quand on aime.” » 

« Ma mère n’avait pas de discours négatif à l’égard de la sexualité, raconte Anne-Sophie. Simplement, indirectement, elle me conseillait d’attendre : “Tu as bien le temps”, “Garde-toi pour le bon”, “L’important, c’est tes études, le reste viendra après.” Du coup, mon problème n’est pas sexuel mais affectif : je n’ai jamais été amoureuse. » Pour la plupart des sexologues, dissocier la sexualité du reste de la relation à l’autre est une erreur.

« Hommes ou femmes, ceux qui fuient la relation sexuelle, quelles que soient les raisons qu’ils invoquent, ne sont ni dans la liberté ni dans le désir, assure Michèle Saal. Pour ne pas être confrontés au problème, ils choisissent inconsciemment de ne pas tomber amoureux ; ils vivent dans une paralysie de la relation à l’autre dont le sexe n’est que l’un des aspects. »

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