Pour Abraham Kreizel, la création d’un Etat palestinien «dans les frontières de 1967» est beaucoup plus qu’une simple formule diplomatique. Car la «ligne verte», la frontière entre Israël et la Jordanie avant la guerre de 1967, passe à quelques dizaines de mètres de l’entrée de son kibboutz de Ramat Rachel, aux confins sud-est de Jérusalem.
Il montre d’un geste précis la ligne invisible, qui traverse la vallée en contrebas, remonte le long de ses champs de tomates biologiques, avant d’aller se perdre dans une oliveraie à l’entrée d’un village palestinien.
Au-delà, se dressent les immeubles du quartier israélien de colonisation d’Armon Hanatziv.
«J’ai gardé cette frontière tant de nuits, avant la guerre de 1967, que je connais par cœur ses moindres recoins. Nous étions entourés des trois côtés par les Jordaniens, se rappelle cet homme de 65 ans, un des piliers du village collectiviste, aujourd’hui en partie privatisé, dans lequel il s’est installé en 1963. Je suis pour la création de l’Etat que les Palestiniens réclament à l’ONU. Mais alors, attention, après, il faut que ce soit comme en Suisse : contrôle poli des passeports à la frontière et relations de bon voisinage.»
Comme lui, la plupart des membres du kibboutz, proches du centre gauche, soutiennent, par principe, la création d’un Etat palestinien.
«On ne peut pas reprocher aux Palestiniens d’aller à l’ONU. Ben Gourion a fait exactement la même chose il y a plus de soixante ans quand il a fondé l’Etat d’Israël», estime Shalom Perel.
Tee-shirt, sandales, barbe de quelques jours, Shalom est l’image même du kibboutznik décontracté, mais il perd son flegme quand il évoque la «situation» avec les Palestiniens :
«Nous ne pouvons pas vivre indéfiniment dans cet état de tension permanente. Chacun est dans son coin et pose ses conditions à l’autre. Il faut que l’ONU agisse comme un conseiller conjugal, qu’elle force les deux parties à s’asseoir et, s’il le faut, qu’elle leur distribue des baffes pour qu’elles négocient !»
Une confiance dans l’organisation internationale qui est loin de faire l’unanimité.
«Je suis pour la création d’un Etat palestinien, mais à condition que cela ne tourne pas comme à Gaza, d’où nous nous sommes retirés jusqu’au dernier centimètre. Résultat : le Hamas a tiré des milliers de roquettes sur Sdérot et les autres villes du sud du pays», estime Shaul Ben Dov, 60 ans, qui se définit comme «un homme de gauche», mais explique avoir «perdu toute sa naïveté» après le retrait israélien de la bande de Gaza en 2005.
Cette position mi-figue mi-raisin sur la demande palestinienne d’adhésion à l’ONU est partagée par une grande majorité d’Israéliens, selon un sondage publié cette semaine par l’université hébraïque de Jérusalem.
D’après l’étude, près de 70% d’entre eux pensent que leur pays devrait reconnaître le nouvel Etat si l’initiative aboutit.
Mais près de 60% estiment aussi qu’à long terme les Palestiniens ont pour but de s’emparer de l’ensemble du territoire israélien.
«Globalement, les Israéliens soutiennent la création d’un Etat palestinien, même s’ils préféreraient que cela se fasse via des négociations et pas à l’ONU, qu’ils soupçonnent d’hostilité chronique à l’égard d’Israël. Mais ils assortissent ce soutien d’une série de conditions qui traduisent leurs profondes inquiétudes», explique Yaacov Shamir, coauteur du sondage et professeur de communication à l’université hébraïque.
Le gouvernement de droite de Benyamin Nétanyahou surfe sur ces craintes, attisées par le discours alarmiste de certains ministres.
Depuis près de trois mois, les médias se font l’écho des plans et entraînements de la police et de l’armée pour prévenir les débordements et une éventuelle troisième Intifada qui, selon eux, risquent d’accompagner l’initiative diplomatique.
Pour le moment, à part quelques heurts à des check-points, les manifestations de soutien à la demande palestinienne se sont déroulées sans incident.
«Nous n’avons pas de problème avec les Palestiniens», répète comme un mantra Abraham Kreizel, installé sur la terrasse de sa petite maison rectangulaire, au cœur du kibboutz.
Il cite pour preuve la trentaine de Palestiniens des villages voisins, de l’autre côté de la ligne verte, qui viennent travailler tous les jours à l’hôtel et au centre sportif de Ramat Rachel et avec qui les «relations sont excellentes».
Puis il ajoute : «Je veux qu’on leur donne un pays le plus vite possible, pour qu’une bonne fois pour toutes ils nous laissent tranquilles.»