Lorsque Laurent Blanc prit ses fonctions de sélectionneur de l'équipe de France, il y a un peu plus d'un an, ce fut dans le contexte sportif difficile des lendemains du désastre de la Coupe du monde, mais dans des conditions "politiques" idéales.
Son prédécesseur ayant été accablé de tous les torts, lui-même bénéficiait d'un consensus très large: paré de toutes les vertus, personne ne doutait qu'il allait prendre l'exact contrepied de Raymond Domenech, notamment au travers d'une communication transparente et de choix sportifs parfaitement justifiés (lire "Blanc presque transparent").
Même s'il ne s'agissait que de faire succéder une approbation illimitée à un véritable délire accusatoire, on ne pouvait que se féliciter de ce que le coach des Bleus allait pouvoir exercer son mandat dans une quiétude inédite depuis des années.
En dépit d'une défaite inaugurale en Norvège et d'un faux-pas à domicile contre la Biélorussie (sans oublier une attitude terriblement ambiguë dans l'affaire des quotas – lire "Amalgames Over"), la suite a confirmé ce cessez-le-feu, conforté par un retour (relatif) des ambitions dans le jeu et des résultats satisfaisants.
GÉOMÉTRIE VARIABLE
Pourtant, Laurent Blanc a été assez vite amené à contrevenir aux principes que lui-même avait définis, ainsi qu'à ceux qu'on lui avait prêtés.
L'intransigeance à l'égard des bannis de Knysna a par exemple fait long feu, avec notamment le rappel de Patrice Évra lorsque la pénurie d'arrières gauches l'y a contraint, ou avec le brassard confié récemment à Éric Abidal.
On a également oublié qu'il fut initialement question de faire jouer les internationaux au même poste qu'en club. Or, on a vu Malouda prié de se conformer à un exil à droite plutôt incongru, Ribéry être affecté à la même zone, Ménez occasionnellement transféré à gauche ou encore Abidal rejoindre l'axe de la défense.
Ce devait aussi être "les meilleurs à leur poste", et les méformes individuelles étaient censées être rédhibitoires. Mais Blanc a maintenu une belle confiance à Yoann Gourcuff au cours de la saison précédente, ou encore à Alou Diarra et Guillaume Hoarau qui font partie de sa dernière liste des 24, alors que le premier reste sur une saison douteuse à tout point de vue et que le second est en perte de confiance et de performances.
Exit la "forme du moment" aussi, semble-t-il, quand Blanc fait l'éloge de Valbuena, de retour de blessure, en invoquant son match contre la Bosnie... en septembre dernier et quand il continue inversement à mettre la pression sur Samir Nasri.
Le sélectionneur est encore plus aventureux lorsqu'il justifie la non-sélection de Bafetimbi Gomis en affirmant qu'il n'était pas titulaire avec Lyon la saison passée (ce qui est largement faux) alors qu'il affiche une santé frappante au début de celle-ci.
JEU DE DUPES
Qu'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de faire le procès de Blanc, mais simplement de rappeler que la justification par tout sélectionneur de ses choix auprès des médias est un jeu de dupes. Il est simplement appelé à privilégier ici tel critère, là tel autre, d'accorder des préférences qui peuvent être purement techniques dans certains cas, beaucoup plus personnelles dans d'autres: options tactiques, contraintes circonstancielles dues aux absences, prime à certaines personnalités qui ne menacent pas l'esprit...
Il va être amené à transiger avec un ensemble de facteurs selon une géométrie très variable. Une liste n'est jamais un best-of, contrairement à ce que font mine de croire bien des commentateurs.
Un sélectionneur fait des paris, comme Blanc l'an passé en titularisant Philippe Mexès et Karim Benzema, alors en disgrâce dans leurs clubs respectifs privilège refusé pour de tout autres raisons à Jérémy Toulalan, pas même rappelé.
Lors de sa conférence de presse, Laurent Blanc a résumé les données du problème en admettant implicitement qu'il jouait à sa guise de ces divers critères:
"Le statut de certains joueurs en club est important pour moi. Mais je prends aussi en compte les performances des joueurs en club. La notion de groupe est devenue plus importante que les performances en club." Le statut, les performances, le groupe... faites le tri.
Quant à sa sincérité, elle doit s'accorder avec la nécessité de ne pas tout confier de ses motivations afin de préserver les ego, de ne pas prêter le flanc à des procès constants et de ne pas dévoiler toutes ses batteries.
"Presque tous les entraîneurs renoncent à la sincérité de leur communication pour se réfugier dans la langue de bois, le mutisme, le franc-parler sélectif ou les provocations parce que cette sincérité les laisse à découvert si les choses tournent mal, et même avant qu'elles ne tournent mal", écrivait-on il y a un an presque jour pour jour.
Laurent Blanc peut échapper aux critiques, il n'échappe pas à la règle. À l'arrivée, les observateurs patentés ne lui donneront tort ou raison que pour ses résultats, pas pour la logique apparente de ses choix ou de sa communication.