Alors que des manifestants protestaient devant l'Assemblée nationale, jeudi 22 décembre, quelques voix discordantes se sont élevées contre le texte visant la répression de la contestation du génocide arménien.
Le député UMP Michel Diefenbacher, président du groupe d'amitié France-Turquie, s'est ainsi exprimé à la tribune de l'Assemblée "contre" la proposition de loi car, selon lui, "personne n'a intérêt à souffler sur les braises".
D'autres députés défavorables au texte devaient s'exprimer ultérieurement pour défendre des amendements annulant ses principales dispositions.
"Que dirions-nous, nous Français, si un autre pays venait nous dire ce qu'il faut penser du massacre des Vendéens sous la Convention et nous menacer de sanctions si nous pensions autrement?", a-t-il lancé.
"La France, berceau des Lumières (...) ne peut pas se ranger aux côtés des pays où la pensée officielle s'impose à tous", a-t-il poursuivi. "Qui d'entre-nous pourrait accepter que demain, des historiens, des philosophes (...) viennent en France, participer à des colloques, avec un sparadrap sur la bouche?"
"Choix confessionnel"
Il a aussi soulevé le problème des Chrétiens d'Orient, "aux avant-postes du 'choc des civilisations' qui menace".
"Si la loi est votée, a-t-il dit, le monde musulman verra là l'expression d'un choix confessionnel. Les persécutions qui frappent aujourd'hui la chrétienté ne sont-elles pas suffisantes pour qu'on y réfléchisse à deux fois?".
Michel Diefenbacher est intervenu après de nombreux autres députés de gauche comme de droite, la plupart élus de départements où vivent de fortes communautés arméniennes, qui ont approuvé la proposition de l'UMP Valérie Boyer.
Ainsi René Rouquet, député maire PS d'Alfortville qui accueille la plus grande communauté arménienne de France, qui a cité Elie Wiesel: "tolérer le négationnisme, c'est tuer une seconde fois les victimes".
François Pupponi, député-maire PS de Sarcelles, a pour sa part souhaité un prochain vote favorable du Sénat nouvellement passé à gauche sur ce texte.
"J'espère qu'avant la fin de cette législature, nous aurons l'honneur de voter ce texte", a-t-il dit.
4.000 manifestants
Un important rassemblement se tenait jeudi au matin à l'appel d'associations franco-turques devant l'Assemblée nationale.
Selon une estimation policière, il y avait 4.000 manifestants en milieu de matinée.
Massés depuis le début de matinée sur la place du président Edouard-Herriot (VIIe arrondissement de Paris), les manifestants brandissaient des drapeaux français et turcs et des pancartes disant "l'histoire ne doit pas servir la politique", "le débat historique n'est pas le débat politique" et "la pêche aux voix ne doit pas se faire sur l'histoire d'un pays".
Les manifestants, venus en bus de plusieurs villes de France dans la nuit et dont les tracts étaient signés du Comité de coordination des associations franco-turques de France, étaient entourés de doubles barrières, tandis que des CRS bloquaient tous les accès à l'Assemblée nationale.
"On va faire du bruit"
"Cette loi est stupide", a déclaré Sébastien Bekar, 44 ans, agent de maintenance à Dreux: "A partir de maintenant, on va faire du bruit."
Ce texte a déchaîné la fureur des autorités turques, qui ont menacé la France de multiples représailles, diplomatiques avec le rappel de son ambassadeur et économiques avec le gel de plusieurs importants contrats.
La proposition de loi qui doit être votée ce jeudi à l'Assemblée vise à "réprimer la contestation ou la minimisation grossière" de tout génocide, dont le génocide perpétré contre les Arméniens dans l'Empire ottoman.
Le texte prévoit un an de prison et 45.000 euros d'amende en cas de négation d'un génocide reconnu par la loi.
Le chef de l'Etat turc, Abdullah Gül, est lui-même monté au créneau pour exhorter Paris à renoncer à une loi "inacceptable".
Nicolas Sarkozy a été accusé par la presse turque de vouloir instrumentaliser le génocide arménien avant le scrutin présidentiel en 2012.
Reconnaissance en 2001
Selon le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, Nicolas Sarkozy avait promis au Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan de renoncer au projet.
La France a déjà reconnu en 2001 l'existence d'un génocide d'Arméniens entre 1915 et 1917 (1,5 million de morts, selon les Arméniens).
Si la Turquie reconnaît que jusqu'à 500.000 personnes sont mortes au cours de cette période, elle considère qu'elles ont été les victimes des aléas de la Première Guerre mondiale.
Le vote de l'Assemblée nationale ne signifiera pas pour autant que le texte sera adopté. Il faudra ensuite un vote du Sénat, ce qui prendra plusieurs mois au minimum.